Dans une bataille juridique se déroulant dans le Japon de l’ère Meiji et la Grande-Bretagne victorienne, Dai Gyakuten Saiban réussit l’exploit de ranimer une franchise qui commençait sérieusement à tourner en rond. Il fallait bien un retour dans le passé pour que la série retrouve un semblant de souffle.

Avant même sa localisation officielle, Dai Gyakuten Saiban n’était qu’un rêve inaccessible pour les fans occidentaux (dont moi). Et après des heures à me saigner pour traduire le jeu en français avec d’autres passionnés, Capcom finit enfin par réaliser que ce jeu méritait de sortir hors des frontières japonaises. Bravo pour l’illumination tardive.

Aujourd’hui, il est temps de revenir sur ce jeu et de comprendre son importance dans une série qui en avait cruellement besoin.

La Nouvelle Ère de Ace Attorney

Dai Gyakuten Saiban fait le pari d’une narration lente, voire laborieuse, par rapport à ses prédécesseurs. Composé de deux titres (Adventures et Resolve), l’histoire s’étire sur 80 heures, et on les sent bien passer. Fini les petites affaires qu’on boucle en une ou deux sessions. Ici, chaque procès s’étale, chaque enquête traîne en longueur, et on doit être prêt à s’enfoncer dans cette intrigue sans fin. Pour certains, ce sera un voyage profond. Pour d’autres, un chemin de croix.

Là où les jeux Phoenix Wright offraient des résolutions rapides et satisfaisantes, Dai Gyakuten Saiban prend plaisir à faire durer les choses. Les scénaristes ont visiblement décidé qu’il était temps d’arrêter d’être pressé et de se concentrer sur la construction lente, très lente, de l’intrigue. Heureusement, tout cet étirement n’est pas vain : des arcs narratifs plus riches, des twists plus cinglants, et une profondeur émotionnelle qui émerge si vous avez la patience de tenir bon.

Synopsis

Ryūnosuke Naruhodō, un ancêtre de Phoenix Wright, se retrouve catapulté au Royaume-Uni pour devenir avocat de la défense. Super idée. Un jeune avocat japonais, au milieu d’un système juridique britannique élitiste et raciste. Le rêve. Mais notre héros va apprendre à naviguer entre deux mondes tout en se heurtant à des dilemmes éthiques qui le feront souvent vaciller. Tout ça avec son assistante Susato Mikotoba, qui est là pour rappeler que même les meilleures intentions peuvent être sabordées par la réalité.

Immersion

Le cadre du XIXe siècle, entre un Japon en pleine modernisation et une Grande-Bretagne impérialiste, donne au jeu une esthétique différente des précédents titres. Enfin, un peu d’air frais. Mais au-delà du décor, c’est la confrontation des systèmes de pensée, des cultures et des égos nationaux qui fait que chaque procès a un poids particulier.

Ryūnosuke, en tant qu’étranger, est vu d’un mauvais œil partout où il va. Ça donne une tension constante, un malaise latent dans chaque interaction. Le jeu plonge alors dans une espèce de bataille entre idéologies, chaque pays essayant de prouver sa supériorité morale et légale. Une guerre froide judiciaire.

Le rythme plus lent permet aux joueurs d’absorber ces subtilités culturelles. Mais soyons honnêtes, certains trouveront le rythme aussi haletant qu’une course d’escargots. Chaque bataille n’est pas qu’une question de droit, mais bien une lutte d’influence entre deux empires.

Personnages

Dai Gyakuten Saiban brille par ses personnages, bien plus que par ses procès parfois interminables. La transformation de Ryūnosuke, de novice à avocat aguerri, suit un schéma classique, mais ici, c’est fait avec une subtilité que la franchise avait peut-être oubliée. La relation tendue entre le Japon et la Grande-Bretagne est palpable, et ce n’est pas une simple tension de façade. On y plonge jusqu’au cou.

Kazuma Asogi, l’ami charismatique, est la force qui pousse Ryūnosuke à avancer. Mais soyons honnêtes, son rôle est bien plus prévisible que ce qu’on essaie de nous faire croire. Malgré cela, il est un pilier émotionnel, même si son arc n’atteint pas les hauteurs qu’on aurait pu espérer.

Puis, il y a Herlock Sholmes. Un personnage aussi ridicule qu’incontournable. Capcom a osé réinventer Sherlock Holmes en une parodie ambulante, et contre toute attente, ça marche. Ses déductions foireuses et son humour éclatent au milieu de l’ambiance parfois trop sérieuse du jeu.

Mais le véritable joyau reste Barok van Zieks. Ce procureur est une figure imposante, avec son racisme flagrant et son humour noir. Chaque interaction avec lui est un rappel que Ryūnosuke n’est pas à sa place, et qu’il est constamment jugé avant même d’entrer dans la salle d’audience. Van Zieks est peut-être l’un des procureurs les plus fascinants de toute la franchise, et croyez-moi, il y en a eu des lourds.

La Vision de Shu Takumi

Derrière tout ça, il y a évidemment Shu Takumi, le génie derrière la série, dont la patte est reconnaissable à des kilomètres. Après s’être amusé avec Professeur Layton vs. Phoenix Wright, il a pris tout ce qui fonctionnait et a décidé de le déployer à fond dans Dai Gyakuten Saiban. Entre l’humour, la complexité des personnages et les rebondissements narratifs, il prouve encore une fois qu’il n’est pas là pour jouer selon les règles établies.

Le jeu combine tensions historiques et batailles juridiques avec une profondeur qui manquait cruellement dans certains volets de la série. Dai Gyakuten Saiban n’est pas un simple spin-off, c’est un rappel que Takumi sait encore comment faire monter la tension sans exploser les nerfs de ses joueurs (quoique…).

Le Tribunal

Le système de jury est sans aucun doute l’une des meilleures innovations du jeu. L’« Examen des Délibérations » permet de dynamiser les procès d’une manière nouvelle. C’est à vous de démonter les préjugés des jurés, et si certains d’entre eux semblent totalement bornés, c’est toute la complexité du système qui est mise en avant. Un ajout qui transforme ce qui aurait pu être un simple recyclage en quelque chose de frais et engageant.

Ajoutez à cela une meilleure gestion des preuves. Fini les situations frustrantes où vous connaissez la solution mais le jeu refuse de vous la valider. Ici, Dai Gyakuten Saiban montre que les scénaristes ont (enfin) compris qu’un peu de flexibilité ne fait pas de mal.

Musique

La bande-son de Dai Gyakuten Saiban, composée par Yasumasa Kitagawa, accompagne magnifiquement cette atmosphère lourde et tendue. Des orchestrations subtilement dosées qui reflètent les époques Meiji et victorienne, tout en gardant l’énergie dramatique qu’on attend de la série.

Les critiques ont salué la façon dont la musique améliore à la fois la narration et le contexte historique, mêlant des thèmes orchestraux reflétant les époques victorienne et Meiji, tout en conservant l’énergie ludique et intense que les fans attendent de la série. Le thème de Herlock Sholmes, en particulier, ajoute une touche légère et brillante à ses déductions, complétant l’humour et l’excentricité de son personnage.

Réception Critique et Héritage

Depuis sa sortie officielle en Occident, Dai Gyakuten Saiban a reçu un accueil très positif. Les critiques et les joueurs ont salué le jeu pour sa narration captivante, le développement complexe de ses personnages et ses mécaniques de gameplay innovantes. Beaucoup le considèrent comme l’un des meilleurs volets de la série.

Article Famitsu pour Dai Gyakuten Saiban

Cependant, cela n’est pas nécessairement vrai au Japon ou pour une partie de la presse occidentale. Bien que Famitsu ait attribué une note de 35/40 à DGS, certains critiques plus chevronnés ont noté que le rythme, en particulier dans les premières phases, était plus lent que dans les épisodes précédents, ce qui pouvait être un défi pour certains joueurs.

IGN a qualifié le rythme de “glacial”, Nintendo Life n’a pas apprécié les “dialogues trop longs”, et Destructoid a décrit certaines phases d’investigation comme “gadgetisées”. Malgré tout, la narration et les arcs des personnages ont été largement salués, en particulier l’évolution de Ryūnosuke et ses interactions avec Sholmes.

Conclusion

Dai Gyakuten Saiban réussit à redonner un souffle à la franchise Ace Attorney, en s’appuyant sur un cadre historique complexe et une narration qui prend son temps. Bien que le rythme lent puisse rebuter certains, le jeu tire parti de cette lenteur pour offrir des personnages profondément développés et des intrigues denses, où chaque procès est une véritable bataille culturelle et juridique.

Entre la tension palpable du Japon face à la Grande-Bretagne, des personnages marquants comme Barok van Zieks et Herlock Sholmes, et des innovations comme le système de jury, le jeu transcende les standards de la série.

Pour ceux qui ont la patience de s’immerger dans ce mélange d’intrigues juridiques et de chocs culturels, Dai Gyakuten Saiban se révèle être un ajout crucial à la franchise. Le travail de Shu Takumi montre encore une fois qu’il sait repousser les limites de la série, sans sacrifier la profondeur émotionnelle.

Pour ma part, ayant participé à la traduction française avant la sortie officielle, voir ce jeu enfin accessible à un plus grand public est une satisfaction. Que vous soyez un fan de longue date ou un nouveau venu, Dai Gyakuten Saiban offre une expérience riche et captivante, emplie de mystères, de personnages fascinants et de moments d’introspection qui marqueront durablement l’univers des jeux narratifs.

- yaro