Est-ce que vous vous êtes déjà interposés, soudainement, entre deux miroirs parallèles ? Vous êtes-vous soudainement vus transportés dans un couloir infini, contenant encore et toujours votre personne ? Qu’avez-vous ressenti face à cette étrange mise-en-abime ?

Ce lieu, qui se répétait, était-il évident qu’il ne s’agissait que de l’ombre de ce qui appartenait vraisemblablement à votre environnement ? Avez-vous décelé peut-être une couleur prédominante, là-bas, au fond de cette infinité.

En réalité, qu’importe, n’est-ce pas ? C’était une belle réflection à voir, elle était si intrigante pendant quelques instants, mais voilà, s’il existe des secrets qu’elle ne nous a pas encore dévoilé, c’est sûrement qu’elles ne le seront jamais.

Un appartement, une chambre ouverte, une clé, une serrure, peut-être au-delà une autre porte.

Et puis, voilà encore, près d’une porte blanche entre-ouverte se loge un long miroir en portrait. Il vous attendait.

Vous l’observez, c’est étrange, cette fois-ci la longueur de ce miroir semble concentrer toute l’attention sur vous. Alors vous faites quelques pas, ici et là, mais il semblerait que malgré tout vos efforts, vous voilà au centre de la focale.

À quoi se battre contre sa propre réflexion,
Tant pis,
Sortons.

Voilà que se dresse un long couloir, une ruelle. En vous retournant, vous vous surprenez — il n’y a aucune différence entre ce que vous voyez et ce à quoi votre dos fait face.

Cette ruelle, c’est une avenue, elle ne semble pas s’arrêter.
Peut-être alors faudrait-il l’emprunter ?

Marchons.

Je m’en souviens.

Marchons encore.

Je m’en souviens toujours.

Quand l’ai-je empruntée ?

Je m’en souviens.

Le miroir, était ici pourtant.

J’y étais.

Je crois.

Enfin… quelqu’un y était.

C’est difficile à dire maintenant. Cette mémoire-là est comme une image trop longtemps exposée à la lumière ; les couleurs ont pâli, les contours se sont dissous. Je marche dans un lieu qui me ressemble plus qu’il ne m’entoure.

Ce corps, ces pas, ce souffle… je les sens, mais je ne suis pas certain qu’ils soient miens.

Il y a quelque chose de flottant, comme si j’observais cette scène à travers une vitre embuée. Les sons me parviennent étouffés. Mes pensées aussi.

Et toujours, ce bruit.
Un souffle continu, semblable au bourdonnement sourd d’un vieux téléviseur allumé dans une pièce vide. Il n’a pas commencé ici. Je crois qu’il m’accompagne depuis longtemps. Peut-être depuis le miroir.

Je ne sais plus si c’est moi qui marche, ou si c’est l’idée de marcher qui se prolonge sans moi.

Je pourrais m’arrêter.

Mais même ces gestes, dans cette étrange mécanique, semblent appartenir à un autre.
Alors je continue.

Je me retourne — rien ne change.
Devant, derrière, au-dessus, tout est pareil.

Je n’ai plus de direction, plus de poids.
Plus d’épaisseur.

Je suis devenu le reflet du reflet, cette trace laissée sur une glace trop souvent effleurée. Un souvenir d’avoir été, sans certitude d’avoir jamais été.

Le couloir, l’avenue, la ruelle, la pièce, tout cela se confond.
Peut-être n’ai-je jamais quitté cet appartement.

Peut-être suis-je encore devant ce miroir.

Peut-être n’y ai-je jamais été.